en préambule à sa conférence du 25 mai 2016 au Château de Coppet

Corinne et les prémices de l’inconscient


Qu’est-ce qui a fait naître l’idée du roman Corinne ou l’Italie ? A quel moment l’héroïne Corinne est-elle née dans l’esprit de Germaine de Staël ?

L’idée de Corinne naît curieusement en Allemagne, en 1804 : Staël assiste au spectacle d’une « féérie » retraçant l’amour d’un chevalier pour deux femmes, l’une prude et soumise, l’autre piquante et originale. Il choisira de délaisser la femme originale et cette intrigue lui inspire le désir de consacrer un récit au drame d’une femme paradoxalement victime de ses qualités. Corinne n’est en effet coupable que de son génie et de sa différence. Le livre sera cependant écrit trois ans plus tard, une fois effectué le voyage en Italie qui nourrit la dimension documentaire de Corinne.


Dans Corinne ou l’Italie, Germaine de Staël oppose la culture du Nord à celle du Midi. Est-ce un prolongement des propos qu’elle a publiés sept ans auparavant dans son livre De la littérature ?

Le roman se passe en Italie, mais il confronte surtout des personnages chacun issu d’une ère culturelle européenne : un Français, un Anglais et un Italien échangent leurs représentations de la culture. A la différence de la nomenclature fixiste de De la littérature, où Staël distinguait clairement le modèle du Nord et celui du Midi, Corinne valorise le mélange des nationalités et le chevauchement des racines : à l’image de l’héroïne, écossaise et italienne au point qu’il reste impossible de cerner son identité, l’homme moderne doit consentir à la pluralité de ses origines.


Faut-il voir dans Corinne ou l’Italie un livre à la gloire des femmes ? 

La morale féminine de Corinne reste ambiguë : les femmes y paraissent prédisposées à la liberté et à la création, mais elles sont aussi victimes de l’ordre social et Staël prend tragiquement acte de cette opposition. La destinée féminine reste pour elle mélancolique et incompatible avec la gloire. Le seul espoir consiste dès lors, pour les femmes, non pas à chercher cette gloire qui sera toujours pour elle synonyme de malheur et de réprobation, mais à y renoncer : à trouver d’autres bonheurs que ceux de la scène publique. Corinne invite donc à la sublimation des interdits.


Quelle actualité a Corinne encore aujourd’hui ?

Le roman de Staël nous rappelle que la nationalité unique est un leurre : notre culture se nourrit d’héritages divers et seules l’ouverture des frontières et la libre-circulation des citoyens garantissent la richesse de l’âme et des connaissances. La leçon de Corinne est donc à la fois politique et morale : nous rappeler les vertus de la différence, voire de la désobéissance lorsque la loi ou l’ordre social se sont transformés en injonctions injustes. Corinne n’a pas peur de quitter son pays ni sa famille pour préserver sa liberté et son bonheur.