En quête de liberté
Quelle a été l’ambition première de Germaine de Staël avant même la reconnaissance de son talent ?
Germaine de Staël a une vision très généreuse du savoir et de la pensée. Pour elle, il ne s’agit pas tant, dans ses écrits, de faire reconnaître son talent, que d’aider à mieux comprendre les êtres et les événements et de promouvoir, autant que faire se peut, l’avènement d’un monde meilleur. Elle n’écrit pas pour se rendre célèbre. Elle écrit parce qu’elle croit (à juste titre) avoir quelque chose d’original et d’important à dire.
Peut-on affirmer que les personnalités rencontrées dès son plus jeune âge ont forgé l’esprit de liberté qu’elle défendît avec courage ?
Enfant, Germaine de Staël rencontre, dans le salon familial grâce auquel sa mère, Suzanne Curchod, fille de pasteur très instruite, soutient les ambitions politiques de Jacques Necker, banquier, puis homme d’État d’envergure européenne, des penseurs et des artistes, français et étrangers. Elle est très marquée par son premier séjour en Angleterre en 1776 et admire particulièrement le modèle de la monarchie constitutionnelle britannique. Ses lectures contribuent aussi à consolider ses centres d’intérêt. Elle est très intéressée par les Lumières écossaises, par Montesquieu, par Rousseau, bien entendu, auquel elle consacre sa première publication… Les triomphes et déconvenues politiques de Necker aident aussi à comprendre l’élaboration de la philosophie politique de Germaine de Staël. Il ne faut cependant pas oublier que c’est une femme qui pense et développe ses propres idées. Elle a une nature ouverte, sensible et généreuse.
Quelle a été l’influence de Germaine de Staël sur Benjamin Constant et inversement ? Partageaient-ils la même vision du rôle de l’Etat et de la liberté ?
Il faudrait un livre entier pour répondre à ces questions ! Rappelons que Staël et Constant ont une aventure intellectuelle et une aventure amoureuse. Si lui peut s’engager activement dans la vie politique, par exemple au moment du Tribunat, elle est limitée par ce qui est autorisé aux femmes. Cela ne l’empêche pas, d’un côté, d’influencer les idées de Constant sur les questions politiques, et de l’autre de chercher à consolider sa propre pensée. Tous deux ont en commun d’avoir pour modèle le régime britannique, qui paraît moderne et fonctionnel. Adversaires du despotisme, tous deux ont contribué à faire émerger ce qu’on a appelé le libéralisme. Comme son nom l’indique, ce libéralisme était fondé sur la notion de liberté, en particulier des libertés civiles, qui engagent, en contrepartie, des responsabilités pour les citoyens.
Staël et Constant n’ont pas toujours des visions identiques. Par exemple, alors qu’ils vivent ensemble à l’époque, la vision staëlienne de l’efficacité de ce qu’elle appelle « littérature » et qui comprend l’éloquence ou la philosophie, paraît excessive à Constant : pour Staël l’intellectuel, par ses textes, peut influencer la politique et le comportement des êtres. Constant accorde un magistère moindre à la littérature. Pour Germaine de Staël, le combat doit être mené avec les moyens que l’on a. Comme elle l’écrit dans Des Circonstances actuelles « Un républicain écrit, combat ou gouverne selon les circonstances et les dangers de sa patrie. »
A travers son roman Corinne ou l’Italie, Germaine de Staël nous dresse le portrait d’une femme indépendante et surdouée, faut-il y voir les prémices d’une forme d’émancipation ?
Corinne est un personnage hors du commun. Elle est en effet indépendante et surdouée. Elle a été prise par les lecteurs et les lectrices comme un être d’exception. Certains (en particulier des journalistes hommes) ont critiqué ce qu’ils ont vu comme les aspects excessifs du personnage. D’autres (surtout des femmes écrivains) ont vu Corinne comme légitimant une prise de parole publique de la femme. Corinne est souvent citée par les femmes auteurs au cours de la première moitié du dix-huitième siècle et on surnomme la princesse russe Zénaïde Wolkonsky, « la Corinne du Nord », ou Margaret Fuller, « la Corinne américaine », par exemple. Ajoutons que Corinne est un roman d’une envergure extraordinaire puisqu’il comprend un aspect politique essentiel et s’interroge, au détour d’une intrigue sentimentale malheureuse, sur l’avenir de l’Europe et la manière dont les beaux-arts et la littérature peuvent servir à définir une nation.